DIEU EN PERSONNE
MATHIEU MARC ANTOINE
DELCOURT
Résumé :
Grand prix de la critique BD 2010.
D'où vient l'idée d'écrire cet essai sur Dieu ? Et pourquoi aviez-vous envie d'écrire ce livre-là ?
Au départ, il s'agit plus d'une intuition qu'un désir intellectuel. Il y a des livres comme ça, qui germent étrangement de l'intérieur, ou des choses sont dites qui sont plus ressenties qu'intellectualisées. C'est donc plus intuitif : intuitif par rapport à moi et à mon éducation, qui fût à la fois laïque et religieuse, et en même temps intuitif par rapport au monde d'aujourd'hui, dont on sent tous qu'il manque de sacré, de profondeur. Une autre de mes intuitions est que ce personnage-là, le personnage de Dieu, mais également le thème de Dieu, va revenir
Cela faisait-il longtemps que vous aviez envie d'écrire sur ce "personnage", puisque c'est ce terme-là que vous utilisez ?
Oui, je l'avais mis en gestation il y a trois, quatre ans, avant Les Sous-sols du révolu. Je devais le commencer dès 2005, mais j'ai reçu cette proposition de Futuropolis qui m'a un peu retardé. Cela m'a pris deux ans, mais une fois terminé, j'avais hâte de reprendre cette histoire, cette réflexion, puisque c'est plus une réflexion finalement qu'une histoire.
Effectivement, c'est une réflexion qui avance au cours du récit. Saviez-vous dès le départ de quelle façon vous alliez argumenter, pour pouvoir expliquer, philosopher autour de la notion de Dieu ?
Non, pas trop ; mais c'est tout l'intérêt de l'essai en général, de ne pas trop savoir où l'on va en démarrant un tel projet. Lorsqu'il s'agit d'une histoire, on a généralement un fil conducteur. On ne sait peut-être pas forcément comment ça va se finir, mais on en connaît les ressorts. Tandis qu'ici, pas du tout ! Je savais simplement que j'avais envie de réaliser un tableau, comme un morceau de fresque de l'état actuel de la pensée humaine. Peindre un portrait, mais un portrait en creux de Dieu aujourd'hui : que se passerait-il si Dieu débarquait dans notre monde actuel ? C'est la question que je me suis posée. Ensuite, j'ignorais ce que ça allait donner, c'est la raison pour laquelle le livre est conçu comme des tableaux grossissants sur certains individus, certains types sociaux, certaines questions aussi, certains angles de vue…
Ce n'est donc pas simplement un portrait de Dieu, mais au travers de Dieu un portrait de notre société ?
Oui, c'est ça. Et c'est probablement même avant tout ça ! Il y a le portrait de notre société, de notre esprit
En revanche, ce qui n'est ni idiot, ni absurde, mais absolument grandiloquent, c'est d'avoir imaginé faire le procès de Dieu ! Mettre en scène les croyants, les crédules, les athées, qui tous se retrouvent dans une immense arène faite pour juger notre monde, quel challenge !
J'ai tout de même essayé de gommer toute la partie croyante de la chose. J'avais plutôt envie de peindre un monde laïc. D'ailleurs, à bien lire le livre, on s'aperçoit que dans ce monde il n'y a ni églises, ni curés ! L'Eglise est absente, la religion est ailleurs : elle est remplacée par une religion de l'analyse : l'analyse judiciaire, l'analyse scientifique, sociale... C'est-à-dire que le Dieu des hommes est substitué par des systèmes qui comblent sans doute le vide spirituel de notre société contemporaine. Ils colmatent les trous un peu partout ; ce n'est pas une critique mais un constat ! Personnellement, je suis agnostique pratiquant. C'est-à-dire que je pense qu'il est plus intéressant que l'homme tente de trouver des réponses par lui-même, quitte à douter éternellement, plutôt que de s'agripper à des croyances qui l'illusionnent
Vous avez pris le parti aussi de ne pas représenter Dieu : c'est-à-dire qu'on en parle du début à la fin de l'ouvrage, mais on ne fait que l'apercevoir.
Oui, parce que je n'avais pas envie de lui donner un visage, de l'incarner vraiment. J'aurais pu, comme Terry Gilliam, le représenter en costard cravate, j'aurais pu l'utiliser selon les canons classiques, mais je trouvais plus intéressant de ne pas le montrer. Et comme il n'est personne, existe-t-il vraiment ? En fait c'est un artéfact : c'est peut être Dieu qui descend sur Terre, et ça se vérifie, c'est effectivement le vrai Dieu, mais il y a aussi la possibilité que ce soit le premier artéfact humain de l'histoire de la communication, il y a les deux possibilités. C'est-à-dire que tout au long du livre, on peut croire que c'est vraiment Lui, parce qu'il fait des prodiges. Mais à la fin, il y a cette confession dont on ignore si elle a été orchestrée ni même si elle est réelle… Dieu bien réel ou ultime avatar médiatique ? C'est la raison pour laquelle c'était intéressant de ne pas le montrer justement, parce que son incarnation risquait de tirer le récit dans un sens ou dans l'autre.
On sent aussi que vous avez pris beaucoup de plaisir à l'écriture. Je crois qu'il n'y a jamais eu autant d'humour dans vos précédents ouvrages, est-ce que je me trompe ?
Si les gens le reçoivent comme vous, cela me fera un immense plaisir, parce que je voulais vraiment que ce soit drôle, et pourquoi pas grotesque à certains moments. Il s'agit avant tout d'une farce. Une farce avec des interrogations, et des questionnements. Donc si c'est le cas, j'ai réussi. J'aime ces grands auteurs : Molière, Shakespeare, Kafka. Ils n'étaient pas drôles, mais ce qu'ils écrivaient était plein d'humour. Et moi aussi, j'ai essayé de jouer avec les mots... Enfin si c'était reçu comme cela, ce serait merveilleux.
En effet, on sent que vous avez plus travaillé sur le texte. Dans vos autres livres, vous travaillez le fond, vous vous amusez avec la forme, mais j'ai le sentiment ici que chaque mot est pesé, certaines phrases ont des double sens. Vous avez pris le temps de choisir vos mots.
Oui, vous avez raison : sans doute plus de travail et moins de rêverie. C'est un travail différent de ce que j'ai pu faire précédemment : l'univers de Julius ou même dans Le Dessin, sont le fruit de rêveries dans lesquelles les mots sortent presque tous seuls. Dans Le Dessin, les situations, les personnages ou les espaces génèrent des mots qui s'imposent d'eux-mêmes. Dans cet album, c'est différent, c'est presque du théâtre. Les répliques sont lourdes de sens parce qu'elles génèrent une réflexion, ou elles proviennent de réflexions ; cela signifie que les mots ont plus de poids que quand Julius se ballade dans le rien et que les dessins et les espaces se suffisent à eux-mêmes. Là c'est différent, les caractères des personnages et les situations qu'ils vivent, guident les mots qui servent à générer de la réflexion. C'est vraiment la résultante d'une réflexion, plus que d'une histoire.
Avez-vous appris des choses sur vous, sur Dieu ou sur notre société, que vous ignoriez avant ? Avez-vous l'impression d'avoir avancé dans votre réflexion, pendant l'écriture ou après avoir terminé cet ouvrage ?
Oui bien sûr, ne serait-ce déjà qu'historiquement parce que je me suis plongé dans l'histoire des religions. Je me suis immergé dans les théories et dans les preuves de l'existence de Dieu. J'ai revisité les origines et les évolutions du sacré… Dans le livre, je fais des allusions à Bergson et à Nietzsche. Toute l'histoire de la réflexion philosophique autour de Dieu est enrichissante, parce qu'elle n'est jamais close, et qu'elle dessine les portraits des sociétés humaines des époques. C'est passionnant. Je ne suis pas particulièrement passionné d'histoire, mais cette histoire-là me parle. Je me suis nourri, j'ai appris des choses. Puis, comme j'en ai l'habitude, c'est une nourriture qu'il faut digérer et redonner. Ce que je redonne cette fois est peut-être plus "profond", mais pas moins personnel, aussi parce que c'était en moi depuis beaucoup plus de temps, depuis mon enfance, imprégnée d'une forte éducation religieuse
MARC-ANTOINE MATHIEU est né en 1959. Après l'École des Beaux-Arts d'Angers, il travaille dans l'atelier "Lucie Lom". Spécialisé dans la création d'expositions, il réalise avec son collègue Philippe Leduc, entre autres, "Espagne-Espagne" pour le festival d'Angoulême en 1989, "God Save the Comics" pour Angoulême 1990, et plusieurs espaces de l'exposition "Opéra Bulles" à la Grande Halle de la Villette en 1991. En 2000, toujours pour Angoulême, ils mettent en scène l'oeuvre de Moebius/Giraud. Plus récemment, ils réalisent "Ombres et lumière", deux parcours dont l'un est à Beaubourg, l'autre à la cité des sciences.
Parallèlement à ses activités de scénographe, Marc-Antoine Mathieu signe dès 1987 sa première BD Paris-Mâcon, album remarqué dans lequel on découvre déjà toute sa maîtrise du noir et blanc.
Mais c'est surtout avec L'Origine, publié aux Éditions Delcourt, que l'auteur se révèle être non seulement un graphiste hors pair, mais également un conteur de talent. On retrouve dans cet album en noir et blanc les influences de Kafka, de Borges, les ambiances des films de David Lynch ou de Terry Gilliam, mais aussi un intérêt certain pour la science.
Unanimement reconnu par la Presse, Alph-Art Coup de Coeur à Angoulême en 1991, L'Origine est assurément une des meilleures surprises de l'année 1990. S'ensuit La Qu..., tome 2 de Julius Corentin Acquefacques, paru en 1991 et nommé parmi les Indispensables de l'année. Mathieu innove encore et toujours avec Le Processus, en offrant à ses adeptes la première spirale en volume de l'histoire de la bande dessinée ! Le quatrième tome de la série, Le Début de la fin, en 1995, montre une fois encore les capacités d'imagination et d'innovation de Marc-Antoine. Dans le dernier volume paru, La 2,333e dimension, Julius Corentin Acquefacques perd le point de fuite et donc la 3D...
Mathieu fait parfois des infidélités à son héros dans des albums traitant de thématiques fortes, mais chaque fois très différents : dans Mémoire Morte, il s'agit d'une société envahie par une dictature de l'information en temps réel, dans laquelle surgit une prolifération incompréhensible de murs qui sclérosent la cité. Quant à ses habitants, ils subissent une perte dramatique de la mémoire puis de la parole... Avec Le Dessin, il engage une réflexion sur l'art via une suite de tableaux, tous aussi troublants que déroutants pour le lecteur. En 2006, avec Les Sous-sols du révolu, co-édité par Le Louvre & Futuropolis, Marc-Antoine Mathieu nous entraîne dans les profondeurs d'un musée infini. Il y multiplie les fausses pistes, les mises en abyme et les réflexions sur l'art. 2009, nouvelle idée lumineuse : il s'empare de DIEU et façonne une œuvre intelligente, déstabilisante et jubilatoire pour une lecture tout simplement divine !
CARACTÉRISTIQUES
Catégorie | Livres | Date de parution | 9 septembre 2009 | EAN | 9782756014876 |
Auteur | MATHIEU MARC ANTOINE | Éditeur | DELCOURT | Format | 272.0 * 191.0 mm |
EAN | 9782756014876 | Prix TTC | 18.5 € | Poids | 670.0 g |