EDITH ET THERESE, LA SAINTE ET LA PECHERESSE

+ VASSAL CARTIER

SIGNE

Résumé :

«Avec l'Amour, non seulement j'avance mais je vole !»

Thérèse, Histoire d'une âme

 

Elles ne se rencontrèrent jamais sur cette terre, car l'une rendit son âme à Dieu dix-huit ans avant la naissance de l'autre. Et pourtant, il n'est pas aussi gratuit qu'il pourrait y paraître de chercher ce qui les a unies.

La petite Thérèse vit le jour dans la bourgeoisie normande aisée, Édith naquit chez des saltimbanques mêlant au sang normand et lillois une pinte de sang kabyle et italien. La Normandie berça leur enfance, assombrie par la perte de leurs mères - morte pour Thérèse, évanouie dans la nature pour Édith. Toutes deux adorèrent leurs pères, qui se prénommaient Louis. Thérèse grandit entourée de ses soeurs bien-aimées à Lisieux, et Édith fut élevée par ses «petites mamans», les filles du bordel que sa grand-mère paternelle tenait à Bernay. Leurs environnements étaient croyants, placés sous la protection de la Vierge ; ici et là, on était pieux, on priait le Seigneur, on croyait à la grâce.

A l'adolescence, l'une se retira du monde et l'autre s'y fourvoya. Toutes deux connaissaient la frustration de l'amour maternel, la torture du doute et celle des tentations, le chemin de croix de la maladie, une sorte de martyre qui serait une injustice si le destin n'avait accordé à chacune une mission précise, avec une mise à l'épreuve à la mesure de leur caractère, très fort, et de leur foi chrétienne.

Toute leur vie, Édith et Thérèse eurent du mal à se faire comprendre d'autrui. L'une choisit la prière, la poésie, l'écriture pour célébrer l'amour divin ; l'autre, la chanson, la poésie, l'écriture aussi pour chanter l'amour profane. Deux visages de l'amour qui finissent par se confondre à la lumière de la parole, «Aimez-vous les uns les autres». Toutes deux s'efforcèrent sans répit de sauver le meilleur en l'homme : la sainte se fit pêcheuse d'âmes, la pécheresse, pêcheuse de talents. Toutes deux connurent la gloire. La petite cloîtrée inconnue devint, aussitôt après sa mort à l'âge de vingt-quatre ans, mondialement célèbre. Son Histoire d'une âme fit rapidement l'objet de nombreuses traductions. Quant à Piaf, sa voix continue d'émouvoir les coeurs dans le monde entier.

Bien au-delà des ressemblances de leurs itinéraires, il y a eu un véritable contact entre la petite aveugle dont on n'avait pas encore fêté le sixième anniversaire, et Thérèse, jeune sainte carmélite, tuberculeuse. Car après un pèlerinage à Lisieux sur la tombe de cette dernière, Édith recouvra la vue. Que l'on reconnaisse ou non le miracle, il faut bien admettre que cette première «rencontre», qui se déroula sur un plan mystique, eut des conséquences décisives dans la vie d'Édith Piaf.

Alors qu'un de ses amis s'indignait de voir la presse à scandale explorer sans vergogne sa vie privée, Piaf répondit en haussant les épaules : «Bah ! Je les laisse faire leur métier. Dieu seul sait la vérité.» Sa véritable intimité, celle de sa foi, resta son jardin secret, un jardin aussi caché que celui du carmel, sauf pour ses proches. L'image de la sainte, dont l'Histoire d'une âme et d'autres textes encore furent ses livres de chevet, ne quitta jamais la pécheresse. Toute son existence fut vouée à la dévotion thérésienne. Dans l'incognito, elle invoqua la sainte et se rendit souvent à Lisieux. Reconnaissance normale, dira-t-on, pour une guérison subite.