UNE RENCONTRE
DE ROMILLY JACQUELIN
B.DE FALLOIS
Résumé :
La rencontre eut lieu au jardin du Luxembourg, en octobre, l'après-midi. Or, elle devait ensuite faire naître tant de doutes et avoir tant de répercussions qu'il importe de préciser bien clairement quelles en furent les circonstances.
On peut dire que c'était un mercredi, vers six heures. Anne Aubier traversait seulement le jardin, avec une parente éloignée, qu'elle venait de rencontrer chez un libraire. Elles étaient entrées par la porte de la rue de Fleurus, et se dirigeaient vers la station de métro Odéon. On peut dire qu'Anne avait travaillé presque toute la journée, qu'elle était fatiguée, contente de se retrouver dehors. On peut le dire, mais à quoi bon ? Rien, dans ces détails si ordinaires, ne saurait expliquer le caractère que prit la rencontre.
Peut-être vaudrait-il mieux dire qui était Anne, parler de son état civil ? Anne était veuve, à trente-quatre ans, après un court mariage avec un fonctionnaire colonial. Elle vivait seule, et son métier était de faire des traductions du russe. Mais que gagnera-t-on à savoir ces détails ? Anne avait beau traduire à longueur de journée des romans russes, elle n'avait point l'âme de leurs héros; elle était sage, douce, désespérément normale. Et elle avait beau vivre seule, son existence n'avait rien ni d'aventureux ni d'insatisfait. Elle ne pratiquait ni le grand amour, ni la dépression nerveuse, ni l'hystérie. Anne n'était, à aucun égard, un personnage de roman. Et rien, dans sa façon d'être, même si on la décrivait en tous sens, ne saurait expliquer ce qui lui arriva ce jour-là.
Peut-être les faits ont-ils d'autres causes. Peut-être, pour comprendre, vaudrait-il mieux se représenter ce qu'était la couleur de l'air et des choses en ce mercredi d'octobre, au Luxembourg. Si l'on arrivait à le dire exactement, intégralement, avec les ombres et les lumières, peut-être, peut-être cela aiderait-il. Mais alors, avec tout : avec la rumeur diffuse des feuilles et des voix, avec la poussière et la tiédeur, le poids d'une journée qui s'achève, la détente. Il faudrait y mettre... ah, chacun sait cela ! On a fini son travail du jour. On rentre. On quitte la rue et, en bavardant doucement, on pénètre dans le jardin public. On y fait à peine attention, mais, là, tout change. Le bruit des voitures s'estompe; les arbres ouvrent devant vous leurs grandes allées vacantes. On est entre deux rues, entre deux vies, en une sorte de brève vacance, volée sur la marge du jour. Et l'on accède à un monde en suspens, où s'entrecroisent cent loisirs qui s'ignorent les uns les autres. Il y a des enfants qui courent - rondes brusques et dangereuses qui foncent vers vous ne savez quoi, à grands cris inintelligibles; et d'autres, plus petits, le derrière à même le sable, absorbés dans un monde à eux. Il y a les mères, sur les chaises, qui lisent la presse du coeur. Mais comment dire ? Il y a tant de gens, tous chez eux, dont les univers se recoupent en s'ignorant. Affalés sur leurs sièges, il y a les étudiants
CARACTÉRISTIQUES
Catégorie | Livres | Date de parution | 10 avril 2013 | EAN | 9782877068246 |
Auteur | DE ROMILLY JACQUELIN | Éditeur | B.DE FALLOIS | Format | 155.0 mm 225.0 * |
Poids | 334.0 g | Prix TTC | 16.5 € | EAN | 9782877068246 |