LE PETIT COEUR ROUGE
DUCHATEAU VERONIQUE
ARTEGE
Résumé :
Deux inconnues
Le train fit halte
Ernst JÜNGER
L'été de mes 15 ans, en 1964, mes parents étaient partis une semaine en voyage, tous les deux, pour fêter leur anniversaire de mariage. Mes frères jumeaux avaient été placés chez leur parrain et pour moi, il avait été décidé que j'irais chez ma grand-mère, dans le Limousin. Vivre, huit jours durant, dans un village de la France profonde me semblait, a priori, impossible. Comme beaucoup de jeunes filles, j'aimais sortir avec mes amies, discuter des heures de tout et de rien, faire les boutiques. Alors, quitter Paris pour cette vieille maison à la campagne... Et pourtant... J'y étais déjà allée, de temps à autre, à l'occasion de la fête de Noël ou d'un anniversaire, mais toujours en famille, avec mes parents, et nous y retrouvions mes oncles et tantes, et surtout, mes joyeux cousins. La journée, tous les petits-enfants, nous partions pour de longues balades à vélo, des parties de pêche ou des pique-niques dans les bois. Puis, le soir, c'étaient des jeux de société au coin du feu et des batailles de polochons dans les chambres transformées en dortoir pour loger tout le monde. Ma Grand-Mère ? Je l'embrassais matin et soir, mais je n'avais jamais eu une conversation seule à seule avec elle. Alors, vivre en tête à tête avec elle me semblait impossible. Je suppliai mes parents de me laisser seule à la maison : rien n'y fit. Un soir de juillet, le moment redouté arriva, après un voyage interminable et chaotique, un car me déposa dans le hameau de La Trémouille.
Grand-Mère était venue m'attendre à l'arrêt d'autocar. Elle m'embrassa sur les deux joues, puis s'empara de ma valise et prit, en silence, la direction de la maison. J'avais emporté beaucoup trop de tenues, ne sachant pas comment on s'habillait à la campagne, et de très nombreux livres. Ma grand-mère semblait toute frêle dans ses vêtements noirs de deuil et pourtant elle portait sans effort mon lourd bagage. La maison était au centre du hameau. Les habitants ne fermaient jamais rien à clé. Nous trouvâmes donc la porte ouverte. Dans la cuisine, le couvert était mis et une bonne odeur flottait dans l'air. Un bouquet de fleurs des champs donnait un petit air de fête à la table.
«Tu dois avoir faim après ce long voyage. Assieds-toi, me dit-elle, tout est prêt.»